C- L’espace réel contre l’espace virtuel
DEFINITION
A partir du moment où nous considérons l’interface informatique comme continuant d’appartenir, par son dehors analogique, à la grande famille de l’empreinte, cette matière informée par laquelle notre mouvement adhère au monde, à partir du moment où la prothèse informatique est un analogon de notre corps (parce qu’elle réussit à nous faire continuer de conjuguer le faire et le voir tout en éjectant cette conjugaison hors de notre propre corps), nous pouvons déjà affirmer que le corps de l’appareillage informatique appartient en partie au même espace que celui dans lequel se débat notre corps. A l’espace imperceptible sans topos, « sans lieu déterminé, sans substrat matériel (hors le brouillard électronique, bien réel lui) des milliards de micro-impulsions qui courent dans les circuits électroniques », nous opposerons l’espace du monde dans lequel nous percevons. Or, si « l’espace n’est pas le milieu (réel ou logique) dans lequel se disposent les choses, mais le moyen par lequel la position des choses devient possible », s’il n’est « pas un éther dans lequel baignent les choses mais la puissance universelle de leurs connexions », comment ne pas accepter de voir l’espace virtuel se subordonner à l’espace tangible puisque c’est ce dernier qui le rend possible ? Cela revient à dire, et c’est là tout l’apport d’un point de vue poïétique sur l’appareil informatique, que lorsque mon corps touche l’interface, non seulement il déclenche la possibilité d’un espace virtuel algorithmique, mais surtout son espace de perception participe activement à la connexion ou à la rencontre des impulsions électroniques qui, elle, est bien réelle. Autrement dit, si l’espace virtuel est englobé dans l’espace réel, c’est la permanence perceptive primordiale de mon corps toujours « déjà là » qui rend possible cet englobement. Parce qu’il est toujours filtré par ma perception, l’espace réel, du moins le seul dont nous soyons sûrs, n’est pas « une somme d’objets déterminés », mais « un horizon latent de notre expérience, présent sans cesse, lui aussi, avant toute pensée déterminante ». Pourtant, si en retour, « l’espace et en général la perception marquent au coeur du sujet le fait de sa naissance, l’apport perpétuel de sa corporéité, une communication avec le monde plus vieille que la pensée », nous ne pouvons nier que l’espace du flux numérique nous soit inaccessible. Derrière l’apparence simulée que prend l’image numérique, il existe l’espace secret de sa fabrication qui est, non pas l’espace physique auquel nous pourrions accéder en ouvrant ou en détruisant le couvercle de l’ordinateur, mais qui est bel et bien le flux algorithmique immatériel que déclenchent les circuits.
Quoi qu’il en soit, la spatialité de ce flux dépend totalement d’une spatialité physique et cette dépendance reste la preuve de la place dominante de la dimension analogique par rapport à la dimension numérique au sein des appareillages informatiques. A partir du moment où le corps essaye de se libérer de la dématérialisation que lui impose l’écran, que celui-ci soit numérique, télévisuel, photographique ou pictural, n’est-ce pas toujours la même relation critique à l’espace physique environnant cet écran qu’il faut prendre en compte ? Restaurer la présence phénoménologique du corps face à l’écran, n’est-ce pas restaurer la dépendance de ce binôme vis-à-vis du reste de la spatialité auquel il appartient ? Comment exploiter artistiquement la face analogique de l’informatique sans prendre en compte le champ spatial à partir duquel le corps déploie son action sur la matière ?
BRISER LE VERRE
Le geste archéologique qui consiste à briser le verre de l’écran, sa nature de réflecteur qui, nous l’avons vu, a entretenu la croyance de l’immatérialité de l’icône (séparée comme par magie de la chair du monde), a été initié en partie par Le Grand Verre de Marcel Duchamp (cf. Planche ci-dessus). Il ne s’agit pas ici de rentrer dans l’analyse de cette œuvre dont la complexité polysémique nous éloignerait sans doute de notre propos, mais bien plutôt de remarquer la postérité ou la faille qu’elle a ouverte, au sens propre comme au sens figuré. Car « casser le cliché » ou la plaque photographique consiste, par un mouvement corporel adhérant au mouvement géologique du monde, à faire passer devant l’illusion dématérialisante de l’image son fond archéologique, son caractère d’empreinte-fragment de notre corps au sein du monde. Plus précisément, cette instauration du fond archéologique de l’image ouvre le verre à une dimension jusque là étrangère aux trois dimensions de l’espace perspectiviste qu’il reflétait. Cette instauration appelle un développement, et c’est cela qui nous intéresse. Elle demande à l’écran d’accepter la transparence originelle qui le constitue et sans laquelle il n’aurait pu devenir reflet immatériel. Qu’elle se recouvre de poussière, empreinte sédimentaire d’un temps géologique (cf. Elevage de Poussière. Planche ci-dessus), ou qu’elle laisse dorénavant voir le monde (et donc nos corps qui s’y installent) à travers elle (cf. Walk Around Time. Planche ci-dessus), cette transparence réintègre harmonieusement le continuum de la chair d’un monde qu’elle n’a en réalité (d’un point de vue phénoménologique ou primordial et non d’un point de vue historique) jamais quitté. Car cette transparence est « inframince » dirait Duchamp, si mince qu’elle colle et ne quitte pas le monde. En replaçant la dimension artistique de l’image dans son appartenance structurelle à l’espace du monde, ce dernier devenant en retour « une gigantesque peinture », l’art moderne et contemporain a du même coup replacé notre corps percevant (celui qui rend l’espace possible en y adhérant), au cœur de ses préoccupations. Car, lorsque je regarde un tableau, une photographie et même une image numérique, « je serais bien en peine de dire où est » cette chose « que je regarde (...). Je vois selon ou avec » elle « plutôt que je » ne la « vois ». « Voir avec » signifie non seulement que je vois l’image dans le même espace que moi, à côté de moi, que je la saisis donc dans son objectité mais aussi et surtout que j’accepte de la considérer comme un corps. Je la reconnais comme trace d’un appareil qui, par mon adhésion perceptive à lui (adhésion qui projette les capacités de mon corps hors de moi), vit dans l’espace phénoménologique.
DEAMBULATION ET CIRCULARITE DES DISPOSITIFS
Pour Wolf Vostell ou Nam June Paik, nous pouvons considérer que « l’écran de télé est devenu tableau ». Comme la toile et son châssis qui deviennent éléments « d’un tableau qu’est le mur, le sol, le plafond, l’espace de la pièce et l’espace extérieur » (tableau qui existe parce que mon corps y circule), le poste de télévision se « montre » à moi et de tous ses côtés. Car les éléments de l’espace qui l’entourent le font exister dans toutes les situations, même celles que je ne vois pas mais que les autres objets me montrent : « Voir, c’est entrer dans un univers d’êtres qui se montrent, et ils ne se montreraient pas s’ils ne pouvaient être cachés les uns derrière les autres ou derrière moi. En d’autres termes, c’est venir l’habiter et de là saisir toutes choses selon la face qu’elles tournent vers lui. (...) Chaque objet est le miroir de tous les autres (le dos de la lampe n’est rien d’autre que la face qu’elle « montre » à la cheminée). Je peux donc voir un objet en tant que les objets forment un système ou un monde et que chacun d’eux dispose des autres autour de lui comme spectateurs de ses aspects cachés et garantie de leur permanence. » Du coup, comme nous le montre Vostell (cf. planche ci-dessus), voir l’adhérence primordiale d’un poste de T.V au monde consiste à permettre au spectateur de déambuler entre des postes de T.V, sentir toutes leurs faces imprégnées d’une même unité, d’une même matière de perception que leur enlisement ou fossilisation dans la texture minéralogique du béton vient précisément illustrer. De même, nous retrouverons cette esthétique de la circularité de l’espace phénoménologique (capable de réifier les dispositifs les plus immatériels) dans l’installation vidéo de Michel Jaffrenou intitulé Le grand manège de la forêt . L’artiste transforme ici les postes de T.V en éléments d’une scénographie circulaire. Il les tourne l’écran vers le haut, chacun projetant un spectre lumineux de couleurs différentes. Les objets télévisuels deviennent des touches de couleurs tout en conservant ou exhibant leur matérialité sculpturale. D’un poste à l’autre, d’un module à l’autre, le jeu s’installe physiquement dans l’espace.
Forts de ces acquis phénoménologiques, certains artistes comme Bill Viola iront même jusqu’à articuler l’icône, l’image-illusion avec la spatialité et la matérialité des dispositifs qui lui permettent d’advenir : ainsi à l’opposition iconique de l’image d’une femme qui meurt et d’un bébé qui naît répondra un dispositif vertical accolant l’un contre l’autre et de bas en haut, les deux tubes cathodiques montrant les deux images (cf. Planche ci-dessus). C’est que, si l’immatérialité séculaire illusionniste de l’image a été dénoncée par la brisure de son verre devenu transparent et ouvert au monde, cette immatérialité, pour reprendre le Sophiste de Platon, continue bel et bien d’être-là. D’ailleurs, si, dans cette installation, le verre de chaque écran reflète l’image de l’autre écran, cette réflexion prend toute sa teneur existentielle lorsqu’on sait que cette oeuvre de Bill Viola est dédiée à la mère de l’artiste, décédée en 1991 et dont il avait filmé les derniers jours, et à l’un de ses fils, né neuf mois plus tard.
A regarder de plus prés l’installation vidéo de Bill Viola, celle-ci porte avant tout le titre Le ciel et la terre : ce qui conditionne notre regard est bien ce dispositif de superposition ou de « tête à tête » qui relie ces deux machines télévisuelles, les images apparaissant sur l’écran ne venant qu’illustrer une situation réelle de deux corps-machines qui se regardent et s’opposent. La dimension de la machine est forcément anthropomorphique dans la mesure où elle est capable comme nous de fabriquer des images, de laisser des traces de son mouvement automatique, dans la mesure où elle est une partie de nous et de notre système perceptif. Si ce qui prédomine dans un poste de T.V et peut-être plus encore dans un ordinateur capable de produire du totalement virtuel, c’est son fond archaïque, sa position primordiale dans l’espace (qui fait qu’après tout nous faisons confiance et nous nous abandonnons à ses images), alors il nous faut chercher dans l’appareillage informatique ce qui le fait tenir debout (dastehen), ce qui le relie à la structure spatiale du monde.
AXE CORPOREL ET POSITION DANS L’ESPACE
Il n’est pas anodin de voir qu’une des premières solutions que trouvèrent les artistes des années soixante et soixante-dix pour questionner le problème de la relation entre la virtualité de l’image et sa réalité phénoménologique fut de quitter le musée pour retourner dans les sites naturels. Car le site naturel montre une matière, une temporalité et une spatialité qui ne peuvent que déconstruire l’artificialité de l’illusion qu’on y amènerait ou plutôt lui redonner son ossature archéologique. Ainsi en est-il de la dialectique que Robert Smithson établit entre le site et le non-site et qui lui permet de redonner au miroir, par exemple, une matérialité intégrée à l’espace naturel.
Dans Mirror Displacement, nous percevons en effet le miroir non pas par ce qui le différencie du sol primordial mais par ce qui l’en rapproche (cf. Planche ci-dessus). Même si c’est un objet capable de réflexion et d’écart iconique par rapport au contexte basique et élémentaire qui l’environne (la nature), il n’en reste pas moins un objet qui se laisse prendre au jeu de sa propre illusion, un objet parmi les autres objets du monde. Si nous considérons également la trace photographique de cette œuvre in situ, nous constaterons que la dialectique engagée dans la nature entre l’image et son lieu primordial se poursuit dans le musée : la photographie porte dans sa définition une nature archéologique qui vient créer une brèche au cœur même d’un sanctuaire édifié à la base au nom de l’immatérialité. En confrontant le pouvoir dématérialisant de l’appareil iconique à la spatialité primordiale dans laquelle notre corps d’emblée s’installe, nous avons vu aussi au travers de la démarche land-artiste la possibilité de trouver, dans les agencements d’éléments les plus culturels au cœur du sol naturel, une certaine magie primitive qui n’émanerait plus des surfaces d’inscription mais de l’espace lui-même. Lorsque nous pensons au Stone Circle de Richard Long, nous ne pouvons pas ne pas faire allusion aux agencements mégalithiques de nos ancêtres (cf. Planche ci-dessus) où la fabrication de l’imaginaire n’avait pas besoin pour fonctionner de quitter le lieu primitif et de maquiller la matérialité naturelle par le recours à l’icône. La seule différence qui s’instaure entre le sol et le cercle de pierres est une différence de caractéristiques spatiales : verticalité, circularité et intervalles permettent de laisser entrer la lumière et permettaient (à l’âge préhistorique) de prier vers le soleil, preuves s’il fallait en donner, que l’espace phénoménologique des mégalithes, parce que notre corps archaïque s’y déplace, est déjà en soi un potentiel d’imaginaire.
Cette circularité, ces intervalles primitifs n’ont d’existence que par rapport à l’axe corporel qui les perçoit. Ils définissent ou sont la preuve des points d’ancrage de notre corps dans l’espace réel. Ils sont les premiers repères des extensions imaginaires de notre corps. C’est à partir de la position de son corps symétrique ancré au sol mais regardant le ciel que l’homme a pu imaginer et construire la cité. D’ailleurs, Leroi-Gourhan n’hésitera pas à établir des relations de contiguité entre notre dispositif corporel et les territoires itinérants ou rayonnants que l’homme fabriquera . Si la géométrie et le quadrillage des cités prennent leur origine dans la position de notre corps percevant par rapport aux étoiles, c’est que c’est à partir de lui que tout se décide : « je meus les objets extérieurs à l’aide de mon propre corps qui les prend en un lieu pour les conduire en un autre ». Or, justement, nous retrouvons cette circularité dans le dispositif organisant les appareils informatiques qui se déploient autour de notre corps : la main tapote sur le clavier ou fait glisser la souris, le corps se lève pour scanner et numériser une image ou récupérer des feuilles sortant de l’imprimante. Tout reste à disposition du corps, tout existe à partir de lui. « Refusant de suivre ou d’accompagner l’accélération des changements de notre environnement », le corps peut rester et résister... Dans ces déplacements rayonnant autour de la machine, nous pouvons « prendre conscience » de notre « corporéité ». Mais si elle innerve l’art contemporain, cette prise de conscience ne peut exister au sein de l’espace quotidien : l’usager de l’ordinateur s’absente dans l’usage de son P.C (personal computer). Il est trop conditionné par une certaine dictature de l’immatérialité. Tout l’enjeu du point de vue phénoménologique de l’adhésion du corps au monde (enjeu que porte l’art analogique de notre siècle jusqu’à la photographie) est là : remettre le spectateur dans la prise en charge de ses déplacements, véritable berceau de l’imaginaire.
D- L’imaginaire de la boîte photographique et le paradigme de l’empreinte
« Il est grand temps d’humilier le concept devant le caillou . » Jean-Claude Lemagny, L’ombre et le temps, essai sur la photographie comme art, Edition Nathan, 1992.
Des personnages aux corps allongés dont la masse molle vient rogner ou perturber le bel ordre architectural et perspectiviste établi : il est assez aisé de voir dans ce tableau du Tintoret intitulé L’invention du corps de Saint-Marc la traduction visuelle d’une manière de peindre qui s’insurge contre le dogme stylistique renaissant (cf. Planche ci-dessus). Plus précisément, portant la trace de la main ou du geste du peintre maniériste qui se lâche lorsqu’il représente les corps et qui se retient lorsqu’il représente le décor, la matière picturale du tableau dit au premier plan la présence primordiale du corps libéré contre sa soumission à la loi de l’appareil, celle du décor, celle de l’architecture, celle de la boîte. De même, dans les tableaux de Bacon, la structure « dresse sa barrière géométrique comme l’architecture sociale enfermant dans sa solitude un moi réduit à l’unité d’un hurlement muet » (cf. Planche ci-dessus).
Nulle part ailleurs que dans l’appareil photographique, cette contradiction entre l’empreinte brutale du corps et sa soumission à une loi (optique par exemple) n’aura trouvé sa plus forte expression ou plutôt son plus fort contraste : à la différence du tableau, de la surface picturale directement touchée par le corps du peintre, la surface photographique et le corps (du photographe ou de celui qui est photographié) sont séparés par une machine automatique. Cette machine qui fabrique toute seule l’image a manifesté dès son invention la volonté prométhéenne d’accéder à l’image la plus dématérialisée possible (dans l’idéologie ou la loi classique imprégnée de mimésis, la désincarnation est la garantie d’une image réussie) en même temps que cet exploit technique se basait paradoxalement sur la saisie photo-sensible de notre présence sous le soleil du monde. Là réside tout le paradoxe d’une image mécanique qui en apparence est déshumanisée mais qui en l’occurrence est une empreinte lumineuse de notre corps. En tant que présence de notre disparition, le terme de « spectralité » résout ce paradoxe et définit certainement le plus synthétiquement possible la nature du médium photographique.
LA LOI DE L’EMPREINTE : LA BOÎTE
Rosalind Krauss parlera du régime indiciel d’une photographie qui restitue le réel en même temps qu’elle l’absente puisqu’elle est trace ou empreinte, puisqu’elle est une forme-matière qui prouve l’existence du mouvement du monde en même temps qu’elle ne peut le restituer. Car elle le fige. Cette non restitution donne à l’empreinte une polysémie qui ouvre le regard convaincu par la tangibilité de l’indice, à un horizon imaginaire. Contre une politique de la disparition qui édifia l’icône photographique en passant sous silence la dépendance de cette icône par rapport à l’index, par rapport à la chair du monde, tout l’enjeu de l’art moderne et contemporain a été de rétablir la nécessité d’incarnation de l’art analogique, qui, par nature, est forcément indiciel (comme nous l’apprend le point de vue phénoménologique).
L’empreinte est ce paradigme qui, parce qu’il remet en cause l’immatérialité d’une image qui prônait sa mécanicité ou sa reproductibilité vantant au plus haut point le destin historique et prométhéen de notre imaginaire, peut en retour scruter et retrouver la persistance de notre fond archéologique à n’importe quel moment de notre histoire iconique. Parce qu’elle est toujours « empreinte écart », un potentiel présent qui « fait de l’absence quelque chose comme une puissance de forme », parce qu’elle est un « symptôme temps », l’empreinte est le moteur de toute poïétique et de toute esthétique critique analogique : montrer ou révéler ce qui fait empreinte dans l’image, c’est faire œuvre au sens de retrouver le passage de notre corps dans l’image et par là-même l’appartenance phénoménologique de nos aspirations icôniques les plus immatérielles au sol perceptif, primordial, inhumain ou prégéométral du monde.
Qu’il s’agisse du point de vue poïétique de la machine à dessiner en perspective, de la chambre claire et de la chambre noire ou du point de vue esthétique du cadre ou des limites de l’œuvre, l’empreinte s’installe dans la structure générique de la boîte. Elle en constitue le fond archéologique, « la structure de reste », le cénotaphe, le tombeau (kenostaphos, kenotaphion) à partir duquel le sujet disparu (le corps photographié ou le corps du peintre par exemple) va pouvoir ressusciter du royaume des morts. Car notre corps touchant (poïétique) ou percevant (esthétique) re-connaîtra le mouvement figé dans la matière et transporté par la boîte. Notre corps désire la trace. Il est capable de fabriquer par l’appareil, la prothèse, le dispositif (qui lui permet de prolonger son unité sensorielle et motrice au delà de lui-même) une trace de sa chair tout en sachant que celle-ci ne reprendra corps et vie que lorsqu’un autre corps percevant viendra la libérer de son enfermement dans la boîte et imaginera son mouvement passé. Nous poserons donc que toute empreinte a besoin d’une loi qui la structure dans son transport en même temps qu’elle réclame, pour exister, d’être perçue du dehors de cette loi. Si l’énergie libidinale, la vie, peut passer de l’artiste au spectateur, c’est bien par le paradigme de l’empreinte mise en boîte, l’empreinte transportable qui réclame le recours d’un corps d’emblée situé « au dehors » d’elle. Pour mieux le dire, avec Lyotard, « le cube théâtral, la chambre représentative est un dispositif énergétique (...). Il faut décrire le cube à partir de son étalement, son unique face sans verso ».
Si la « bande libidinale » peut se déployer entre le corps de l’artiste et le corps du spectateur, c’est que l’appareil qui assure la communication entre les deux termes comporte un substrat archéologique, une corporéité analogique qui adhère et donc vit dés qu’on le produit ou qu’on le reçoit : ainsi en est-il des boîtes de Boltanski qui portent sur elles ou en elles les stigmates de corps disparus ayant laissé choir leurs spectres lumineux ou leurs vêtements. Ainsi en est-il de la Boîte en Valise de Duchamp qui nous livre le mouvement de la « démarche » de l’artiste dans un espace feuilleté. Ainsi en est-il du coffre de Nikolaus Lang et de la boîte à outils de Robert Filiou qui nous étalent les constituants de leur fabrication. Ainsi en est-il des 127 dessins de boîtes de Gérard Titus Carmel qui redonnent vie à ce petit tombeau. Ainsi en est-il de l’énorme bibliothèque en plomb de Anselm Kiefer dont les éclats de verre résonnent (par leur transparence archéologique) dans tout le lieu d’exposition (cf. Planche ci-dessus). Posons-nous une question : peut-on considérer l’espace virtuel comme une mise en boîte, une boîte dont il ne resterait que l’apparence d’un dehors (doit-on inverser le jeu des appareils ?) ? Si « le contact, la sensorialité (...) ont pour corollaire l’opposition intérieur/extérieur et la surface liminaire entre les deux », la boîte est l’espace phénoménologique de l’empreinte, le point de contact entre les sujets percevants. Ainsi, l’image photographique, parce qu’elle vient d’un appareil photographique qui capture, par mon toucher et ma vision, une certaine empreinte, ne « convoque pas uniquement la vue. Elle se destine à l’ensemble du corps sensible ». Elle est en attente de son dehors perceptif à partir duquel elle va vivre, reprendre mouvement. Si pour fonctionner, la poïétique et l’esthétique analogique ont besoin d’une empreinte enfermée autant que du recours à son dehors, si, pour le dire autrement, « la présentation perspective des objets ne se comprend que par la résistance de mon corps à toute variation perspective », si enfin, comme nous l’avons développé dans ce premier chapitre, les appareillages informatiques sont, par leur interface et leur bouclage analogique-numérique-analogique, résolument des boîtes-empreintes tournées vers leur dehors, pourquoi ne pas envisager de confronter plastiquement ces appareillages au paradigme de la boîte photographique ?
je voudrait savoir si il était possible de pouvoir crée un monde virtuel
je veut dire est ce que la personne réelle pourrait rentré dans une machine et se connecter a la machine avec des pachts qui grace au pacht notre esprit serait alors transférer dans le monde virtuel avec une entré et une sortit bien sur que notre esprit ne soit pas bloqué merci de bien vouloir nous repondre merci a vous
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