Etudiants 2007-2008
 

-AZERTY-

Damien Simon


La place du corps dans la question de la re-présentation numérique du mouvement.

-AZERTY-

Introduction

Dans ce travail, j’ai appréhendé la question dans le rapport premier qu’entretient un individu avec un ordinateur ; car avant d’envisager son utilité et les multiples possibilités qu’il permet en tant qu’ « outil », il semble que ce soit avant tout un objet. Ainsi, les approches primordiales que l’on a avec une machine informatique passe par la perception de sa matérialité. En effet, s’il permet d’ouvrir notre perception sur un nouvel espace fascinant d’immatérialité, l’ordinateur semble de ce fait avoir tendance à effacer la place première du corps, en focalisant sur l’espace qu’il donne à voir.

Afin de mettre en valeur le caractère matériel de l’ordinateur, et pour replacer le corps sensible au premier plan, j’ai souhaité mettre en place une sorte de confrontation entre un objet réel et sa représentation numérique. Ainsi, j’ai représenté des touches de clavier (correspondant à la ligne des lettres azertyuiop du clavier) que j’ai animé, en attribuant à chacune une action et un son (enregistrements de sons vocaux). L’interactivité se situe justement dans le rapport aux touches ; notion intéressante que nous allons traiter dans son rapport à l’objet, avant de faire le lien vers l’aspect mécanique qui en résulte. Enfin, nous tenterons de déduire la fonction réelle du spectateur et celle de l’artiste face à une création numérique en général.

Mise en parallèle

La confrontation qui fait l’objet de ma création, s’inscrit par le jeu de l’interactivité, dans un rapport à l’espace, voire aux espaces, puisqu’elle émet une différenciation entre analogique et numérique, entre réel et virtuel, matériel et immatériel.

La touche réelle s’inscrit dans une certaine linéarité, sur laquelle la main va s’adapter. Cette linéarité rappelle la standardisation de l’objet clavier, dont la disposition des touches est -encore- issue de celle des machines à écrire, qui était purement pratique. Dans l’image que je donne à voir, les touches ne sont plus disposées de cette manière rectiligne, mais vont au contraire s’exposer dans un espace « vide » (blanc), dénué de repères. Ma représentation tend à « exploser » la constitution structurée de l’objet réel, afin d’effacer en quelque sorte sa matérialité pour rendre compte d’une immatérialité qu’il adopte une fois re-présenté numériquement. En d’autres termes, il s’agit d’opposer la lourdeur sensible du réel à une légèreté, presque volatile, présente dans l’image numérique. Par ailleurs, dans l’image créée, chaque touche porte le repère de la lettre à laquelle elle renvoie sur le clavier, de manière à ce que le spectateur s’y retrouve dans son interaction. Cependant, elle va s’en débarrasser une fois activée, pour devenir alors une représentation non indicielle.

Représentation : un rapport aux sens

Les représentations de touches vont donc se libérer de leur aspect indiciel pour se transformer et entrer en mouvement. J’ai voulu leur insuffler une certaine vivacité, en les personnifiant, pour forcer le parallèle émis entre l’objet sensible et sa représentation numérisée, en renvoyant aussi l’image du corps sensible du spectateur. Le référent au corps est présent tant au niveau de ce que les touches animées figurent qu’au niveau du son qu’elles émettent (bouches, langues, bras, bruits, voix, etc.). L’animation (du latin anima : l’âme) joue ici un rôle important, puisqu’elle crée un mouvement, donne vie, quelque part, à ces objets représentés. D’autre part, l’animation en boucle ininterrompue que je propose va, par le rythme qu’elle met en place -notion sur laquelle nous reviendrons plus tard-, renforcer une opposition entre le spectateur et l’image qu’il reçoit. Car là encore se joue une confrontation, par cette provocation des sens, entre le mouvement des objets animés, et celui du spectateur dans ses actions.

Interactivité

L’appellation « touche » (du clavier) porte en elle-même le sens auquel elle fait référence : le toucher. C’est donc à travers la tactilité que va se jouer l’interaction du spectateur, et ce en un lien directement identifiable, puisque ces composants qu’il a sous la main sont re-présentés dans l’image, qu’il a cette fois sous les yeux ; on peut dès lors noter un rapport aux sens fondamental.

Si l’on analyse les sens appelés à être utilisés dans mon animation : alors que la tactilité permet à la fois de créer et de recevoir, l’optique, ainsi que l’ouïe, permettent seulement la réception. Lui rappelant implicitement l’acte du créateur, et le positionnant quelque part entant que créateur lui-même, l’action du spectateur va prendre place dans sa tactilité en contact avec l’interface-clavier ; il va appuyer dessus, ou, pour reprendre un terme utilisé dans le traitement de texte, il va « taper » sur ces touches. Cette notion de frappe se rapproche du geste archaïque de percussion (du lat. percussio « action de frapper, coup »), très intéressant ici. En effet, ce geste va donner lieu à une action ; il est perçu, dans cette création en tous cas, comme déclencheur. L’impulsion et la manière d’appuyer n’ont pas d’importance dans ce dispositif, qui ne va pas les retranscrire, mais transmettre un signal qui va engendrer ce qu’on lui a programmé - dans ce cas, il va mettre en mouvement la touche représentée. Le geste de percussion est aussi étroitement lié à la notion de rythme, et prend ici un aspect essentiel dans son rapport à l’interaction.

Mécanicité

Le rythme est évoqué, que ce soit dans le mouvement de l’animation en boucle, ou au niveau du son, et va émettre peu à peu une cadence semblable à celle d’une machine. Cet aspect mécanique, renforcé par le fait que l’animation, une fois activée, ou déclenchée par le spectateur (ou spect-acteur) ne va plus s’arrêter, va créer ainsi un automatisme qui lui est propre. Les éléments, en s’additionnant les uns aux autres, rappellent l’ « exercice de la machine » dans l’entraînement théâtral, où chaque acteur doit répéter un mouvement, créant un ensemble cadencé de gestes devenus peu à peu automatiques, et destiné à faire entrer leurs corps en relation. Cette idée de rythme me paraît intéressante, appliquée à une création interactive, numérique qui plus est, afin de mettre en relation deux corps : d’un coté celui du spectateur, de l’autre ce lui de la machine informatique. Car le rythme dans l’évolution spatio-temporelle du corps humain est essentiel ; c’est avant tout le battement du cœur, qui a tendance à adapter sa cadence selon l’influence extérieure perçue par les sens récepteurs. De ce fait, je pense que l’on retrouve cette idée de rentrer en symbiose avec la machine dans la perception spatio-temporelle qu’elle nous donne à voir, ou percevoir, qui va interagir en retour, par le lien précieux du contact sensoriel. Dans ma création, l’espace est représenté par le dessin animé, et le rapport au temps par le rythme (qui par ailleurs, est basé sur un tempo équivalent à une seconde, unité de temps cadencée on ne peut plus décisive, intouchable).

Conclusion

Par le jeu de la confrontation du sensible et de l’inaccessible, et grâce à une certaine interactivité, mon travail tend à replacer au premier plan le corps du spectateur dans son expérience de l’objet informatique, notamment par le sens tactile. Ce dernier va jouer le rôle de déclencheur d’une action machinale à suivre, qui va être reçue en retour, installant peu à peu une complicité entre l’Homme et la machine, dont le rapport au rythme semble être à la fois ce qui les différencie et qui peut, peut-être, les rapprocher par le jeu de la perception. Aussi, le geste corporel de déclenchement par le toucher offre une part de création au spectateur, ou spect-acteur, qui peut alors composer, agencer une rythmique à partir de ma création ; il ne va non pas modeler, puisque la « matière numérique » lui est inaccessible bien qu’elle lui incombe, mais modéliser, ou expérimenter le modèle finalement très strict, que j’ai moi même créé selon un autre modèle.



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